Hui Neng



Hui Neng, originellement écrit 惠能,  puis 慧能.

Bouddhiste chinois né en 638 à Canton et mort en 713 (dynastie des Tang), son corps momifié naturellement est encore entreposé dans un temple de la province du Guang Dong.

Il est considéré comme le 6ème patriarche du Bouddhisme Chan après son maître Hong Ren 弘忍.

Analphabète, ses disciples ont compilé son histoire et son enseignement dans l'ouvrage le «Tan Jing» «壇經 » traduit en français par «Sutra de l'Estrade» . Normalement, les «Sutras» dits «Jing» en chinois désignent les enseignements de Bouddha, alors que les «Lun» désignent les écrits des disciples, mais le «Tan Jing» est le seul ouvrage écrit par un chinois et considéré comme un «Sutra» ou «Jing» car proche de l'enseignement de Bouddha , ce qui montre l'importance de cet ouvrage en Chine.

Cependant, bien que le «Tan Jing» a une haute place dans le Bouddhisme Chan, ce n’est pas un texte représentatif du Bouddhisme en général car critiqué par certaines personnes.

Le Bouddhisme Chan était principalement présent dans la folklore chinois, mais avec le «Tan Jing» le Bouddhisme Chan a eu une influence sur le gouvernement car fonctionnaires de l’Empire de l’époque assistaient aux enseignements de Hui Neng (intérêts personnels des fonctionnaires ou surveillance?). Des non bouddhistes et non fonctionnaires y assistaient aussi.
Le «Tan Jing» est une bonne introduction aux débutants pour le Bouddhisme, car Hui Neng étant analphabète, son enseignement est écrit en langage courant de la dynastie des Tang et donc plus facile à comprendre que les lointains textes indiens traduits du sanskrit dont il s’inspire comme:

  • 《維摩詰經》 《Wei Mo Jie Jing》, «Vimalakīrti-nirdeśa-sūtra» en sanskrit, classique le plus utilisé dans le «Tan Jing» dans avec quelques fois des sens différents,
  • 《涅槃經》《Nie Pan Jing》, «Mahāparinirvāṇa-sūtra» en sanskrit, traduit en français par le «Sutra du Nirvana», 
  • 《金剛經》《Jin Gang Jing》 ,«Vajracchedikā-prajñāpāramitā sūtra» en sanskrit, traduit en français par le «Sutra du Diamant».

Versions du «Tan Jing»:
Il y a plusieurs versions du «Tan Jing» , la plus connue et répandue dans les temples bouddhistes est celle de Zong Bao (宗寶本) de la dynastie des Yuan (1271 – 1368), mais historiquement, la plus ancienne que l'on ai trouvé est celle de Dun Huang 敦煌 de la dynastie des Tang (618 – 907), version que l'on a découvert au siecle dernier seulement.

Cette précision est importante car la version de Zong Bao est près de deux fois plus volumineuse que la version de Dun Huang, il y a quelques différences, et les deux histoires les plus connues de Hui Neng proviennent de la version de Zong Bao.

On peut soit penser que ce sont deux histoires inventées et rajoutées, on doute donc de leurs authenticités, ou soit penser que ce sont deux histoires qui se sont vraiment passées mais qui n'ont pas eu le temps d’être insérées dans la version la plus ancienne.

D'autres différences font préférer la version la plus ancienne de Dun Huang, et donc la plus proche de Hui Neng (une autre version plus ancienne encore pourrait exister selon les experts). Cependant, comme c'est une version apparue qu’au siecle dernier, elle a une importance historique et pour un travail aux origines, mais c'est la version de Zong Bao qui a influencé l’évolution du Bouddhisme Chan et de sa pratique spirituelle en Chine, elle est donc aussi importante.

Le  «Tan Jing» se compose de trois parties:

  • l'histoire de la vie de Hui Neng,
  • les notes de l'enseignement du Dharma (Fa en chinois) dans un temple du sud: Da Fan Si 大凡寺,
  • l'entretien questions réponses avec les disciples.

Vie de Hui Neng:
Le père de Hui Neng était un fonctionnaire au Nord puis il vagabonda dans le sud, Hui Neng se retrouve très tôt orphelin, pauvre et analphabète.

La simplicité et la pauvreté de Hui Neng a aidé le développement du Chan en Chine car il est perçu comme un être normal qui a connu l’éveil. Son humour et ses critiques lui donnent un coté humain, et donc une accessibilité.

Un jour, il a entendu une personne réciter le «Jin Gang Jing» «金剛經 » ( dit «Sutra du Diamant»  en français), il a soudainement atteint l’éveil et se rendit au monastère du mont de la Prune Jaune (黄梅善) pour rencontrer le moine Hong Ren 弘忍,5ème patriarche du Chan. 

Il y a beaucoup d'histoires dans le «Tan Jing», certains remettent en cause l’authenticité de certaines histoires mais il faut souligner que les histoires sont une manière très utilisée par le Chan pour transmettre son enseignement.

Hui Neng rencontra Hong Ren dont l'entretien est très connu.
Hong Ren demande à Hui Neng d’où il vient et ce qu'il veut.
Hui Neng répond qu'il vient du Sud et ne veut rien d'autre que d'apprendre le Dharma pour devenir un Bouddha (être éveillé).
Hong Ren continue en le provoquant exprès, disant que Hui Neng est un sauvage du Sud, comment peut il devenir un Bouddha (être éveillé) ?
Hui Neng répond il y a le Sud et le Nord pour les humains, mais l’essence de Bouddha (être éveillé)  n'a pas de Sud et de Nord. Il continue en disant que son corps est celui d'un sauvage du Sud différent du grand moine bouddhiste Hong Ren mais qu'elle est la différence dans l’essence de Bouddha ?
Hui Neng reprend ici un concept bouddhiste que tous les humains ont la même essence de Bouddha (être éveillé), tout le monde est égal et peut atteindre l’éveil.

“弘忍和尚問惠能曰:汝何方人,來此禮拜吾?汝今向吾邊復求何物?惠能答曰:弟子是嶺南人,新州百姓,今故遠來禮拜和尚,不求余物,唯求作佛法。
大師遂責惠能曰:汝是嶺南人,又是獦獠,若未為堪作佛法?惠能答曰:人即有南北,佛性即無南北。獦獠身與和尚不同,佛性有何差別!”

Plus tard, le maître Hong Ren, 5ème patriarche de l’école Chan, cherchant un successeur demande à ses disciples d’écrire un poème libre sur un mur.
Le prétendant favori au titre de 6ème patriarche, Shen Xiu 神秀, un moine érudit et apprécié, après avoir hésité, a écrit un poème la nuit sur un mur:

“身是菩提樹,心如明鏡台,
 時時勤拂拭,莫使惹塵埃!”

“Le corps est l'arbre de l’éveil, 
le cœur (esprit) est comme le corps du miroir brillant.
De tout moment je m'efforce de l’essuyer, 
pour qu'il soit pas couvert de poussières” .

Tout le monde a été impressionné par la beauté et la pertinence du poème de Shen Xiu qui montre une bonne compréhension du Bouddhisme. 
Mais Hui Neng, analphabète et qui n’était pas véritablement moine, se fait lire le poème et répondit par un autre poème: 

“菩提本無樹,明鏡亦非台,
 本來無一物,何處惹塵埃!”

“L’éveil n'est pas un arbre, 
le miroir brillant n'est pas non plus un support. 
Originalement il n'y a pas de matière,  
Ou trouverait-on de la poussière?”  

C'est le poème le plus courant dans les temples bouddhistes, mais au siècle dernier, on a retrouvé a  Dun Huang une version de la dynastie des Tang du «Tan Jing» , et donc plus ancienne de la version courante dans les temples bouddhistes actuels. Le poème ci-dessous est dans la version du Dun Huang écrit comme cela.

“菩提本無樹,明鏡亦無台。
 佛性常清浄,何處有塵埃!

 心是菩提樹,身為明鏡台。
 明鏡本清浄,何處染塵埃!”

“L’éveil n'est pas un arbre, 
le miroir brillant n'est pas non plus un support. 
L’essence de Bouddha est éternellement clair et propre,
ou trouverait-on de la poussière?

Le cœur est l'arbre de l’éveil,
le corps est un support de miroir brillant.
Le miroir brillant est originalement clair et propre,
ou trouverait-on de la poussière?” 

A la surprise générale, le poème de Hui Neng était bien meilleur, profond et subtil. Alors que Shen Xiu était considéré comme le favori, Hong Ren, le 5ème patriarche convoque Hui Neng en cachette pour lui transmettre sa robe et son bol symbolisant la transmission officielle et demande à Hui Neng de s'enfuir à cause des jalousies et des représailles.

Certains historiens doutent de la véracité de cette histoire car écrite par les disciples de Hui Neng et pensent que c'est Shen Xiu qui est en fait le 6ème successeur.

Mais selon l’histoire officielle, après avoir reçu la robe et le bol, Hui Neng s'enfuit dans le sud de la Chine et se cache pendant 15 ans dans un groupe de chasseurs (carnivores alors que le Bouddhisme chinois préconise le végétarisme depuis l’Empereur Liang WuDi).
En 677, il se rend au Temple Fa Xin 法性寺 ou deux moines sont en train de se disputer en regardant un drapeau flotter au vent, selon la version la plus répandue du «Tan Jing» : Zong Bao,
L'un des moines dit que c'est le drapeau qui bouge, l'autre dit que c'est le vent. Hui Neng leur dit alors que ce n'est ni le drapeau, ni le vent qui bouge mais leurs propres cœurs (esprits).

C'est dans ce temple qu'il est devenu moine et maitre du Dharma. Il fondera par la suite son propre monastère : Bao Lin Si (寶林寺)。

 

Shen Xiu et Hui Neng représentent deux voies dans le Bouddhisme Chan:

Shen Xiu représente le Chan gradualiste dit Chan du Nord, alors Hui Neng représente le Chan subitiste dit Chan du Sud.

La voie spirituelle (proche de la matière) de Shen Xiu présente un travail quotidien et donc graduel de nettoyage du cœur sali par les poussières que représentent les soucis.

La voie spirituelle (proche de la vacuité) de Hui Neng présente une prise une conscience subite que le cœur (esprit) est originellement clair et propre que tout est vacuité et que les poussières (soucis) ne peuvent pas salir car tout est illusion.

Tout le monde est d'accord pour dire que la voie de Hui Neng est meilleure et plus profonde que celle de Shen Xiu.

Mais il ne faut pas les opposer, et voir ces deux voies comme deux étapes:
la voie de Shen Xiu étant pour les débutants et le commun des mortels,
la voie de Hui Neng étant pour les êtres proches de l’éveil grâce à leurs karmas.

Shén Huì 神會 est considéré comme le 7ème successeur du Chan.

Plusieurs concepts sont traités dans le «Tan Jing », Hui Neng y apporte sa propre compréhension:
La vacuité (空 Kong en chinois), la nature de Bouddha (佛性 Fo Xing en chinois,tathāgatagarbha en sanskrit), la nature du cœur (esprit): mouvement ou immobile ?, la méthode de la pratique Chan:méditation (Dhyāna en sanskrit) , l’éveil subtisme (顿悟 Dun Wu en chinois),la sagesse (智慧 Zhi Hui en chinois,Prajñā en sanskrit) qui est en chacun de nous et qu’il suffit juste de réveiller pour ainsi développer nos potentiels (ou capacités extra-sensorielles), l’égalité devant la possibilité de devenir un Bouddha (être éveillé), la générosité, la compassion...

Le «Tan Jing » est un ouvrage qui nous permet de comprendre le Bouddhisme Chan, un bijou de la culture traditionnelle chinoise qui est en fait un subtil mélange entre sagesses chinoise et indienne, une merveilleuse voie pour la compréhension de son cœur (esprit), de la psychologie et de la spiritualité.

L’essence du «Tan Jing »  mais aussi du Bouddhisme en général:
Ma compréhension du «Tan Jing » c’est qu’ à travers plusieurs moyens, il ne fait que d’expliquer une phrase du «Jin Gang Jing» 《金剛經》en chinois (traduit en français par le «Sutra du Diamant»), c’est la phrase que Hui Neng a entendu et qui lui a permi d’atteindre l’ éveil. 
“應無所住而生其心。”
“Il ne faut pas être figé (sur les apparences et les désirs) pour ainsi permettre au coeur (esprit) de naitre (évoluer naturellement, faire naître la compassion et la sagesse). ”

 

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Note :

     Le Bouddhisme est de plus en plus apprécié en occident, notamment le Bouddhisme tibétain et Zen japonais (issu du Chan chinois).

D’un coté, il y a les intellectuels et historiens qui sont dans la théorie et la recherche sans expérimenter par la méditation et l’esprit du Chan dans la vie de tous les jours, et de l’autre les pratiquants qui méditent mais ne lisent pas les classiques chinois utilisant trop facilement la formule “pas d’écrit, un enseignement hors des classiques” et en galvaudant des mots comme “vide”, “coeur” et “amour”, s’éloignant ainsi des enseignements de Bouddha, de Bodhidharma et de Hui Neng en rajoutant leurs propres idées et ressentis, tout à fait honorables, mais souvent loin de la tradition et faisant des mélanges avec d'autres philosophies.

J’ai choisi la voie du juste milieu: faire une recherche historique et une étude des textes dans des temples, universités et bibliothèques en Chine depuis plusieurs années, mais aussi une pratique quotidienne de la méditation transmise par différents maîtres du Bouddhisme Chan et une application du Chan dans la vie de tous les jours. La tradition chinoise veut que les jeunes moines étudient et récitent tous les jours les textes sacrés, une base de l’ éducation couplée à la méditation et à l’esprit Chan à chaque moment.

Il faut donc voir cet article comme ma simple compréhension et mon sincère partage de mon expérience du Bouddhisme Chan que j’utilise dans ma pratique clinique de la médecine du juste milieu (médecine chinoise) mais aussi pour une aide psychologique et spirituelle.
Les deux modes de pensées traditionnels de la médecine du juste milieu (médecine chinoise) sont la théorie du Yin Yang et des 5 mouvements mais les médecins bouddhistes chinois y rajoutent la théorie bouddhiste de la cause conséquence et du Karma pour ceux qui acceptent d’écouter une autre approche des origines des maladies ou l'on parle de la psychosomatique, de la psychogénéalogie et du Karma.

J‘ai traduis personnellement toutes les phrases chinoises issues des classiques bouddhistes citées dans cet article, vous êtes libre de les utiliser, mais merci de citer ce site internet s'il vous plait.

Je suis à votre disposition si vous êtes intéressés par un stage en Chine ou dans votre pays sur le Bouddhisme Chan et la méditation. Possibilité de rencontres avec des maîtres chinois.

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